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Les revers de la gestion du COVID-19 en Haïti

Sans tests massifs et sans statistiques de mortalité complètes, il est impossible de quantifier le nombre de personnes infectées et décédées du COVID-19 en Haïti. Mais une chose est sûre, les autorités sanitaires haïtiennes n’ont pas eu de contrôle sur la propagation du virus dans le pays.

13 de diciembre 2021

PORT-AU-PRINCE, Haïti – Le manque de ressources gouvernementales, les croyances culturelles, les troubles politiques et les catastrophes naturelles ont empêché le système de santé haïtien en ruine de répondre et de surveiller de manière adéquate la pandémie de COVID-19, selon un rapport d’AyiboPost et du Centro de Periodismo Investigativo (CPI).

Néanmoins, les comptes rendus sur le terrain assurent qu’il n’y a pas eu de calamité mortelle à cause de COVID-19 en Haïti. L’isolement causé par les troubles civils, la violence extrême et l’instabilité politique peuvent avoir, ironiquement, épargné des vies.

D’abord, il n’y avait aucun test disponible dans le pays. Ensuite, seulement trois cliniques publiques recevaient des patients. Les hôpitaux privés ont refusé – et refusent toujours aujourd’hui – d’admettre des malades du COVID-19 dans cette nation caribéenne de onze millions de personnes.

D’un autre côté, les autorités ont constaté que les patients ne venaient pas dans les quelques cliniques disponibles, même s’il y avait une épidémie de fièvre non diagnostiquée, parmi la population. La raison : la plupart des gens préféraient rester à la maison en utilisant des remèdes de médecine traditionnelle.

Aujourd’hui, le nombre de morts et le niveau de contagion sont inconnus et ne peuvent être estimés car il n’existe pas de statistiques complètes sur la mortalité et les tests sont peu nombreux. La vaccination est également très lente: moins de 1% de la population s’est faite vacciner.

Jusqu’en juillet, les vaccins n’étaient largement pas disponibles. Puis, le pays a reçu 600 000 doses, mais a dû en restituer 250 000 aux entités donatrices, pour éviter leur expiration en raison de la faible demande.

Haïti a officiellement inscrit ses premiers cas de coronavirus le 19 mars 2020. Depuis lors, le nombre de personnes testées positives au virus a continué d’augmenter de façon spectaculaire. Selon la dernière évaluation épidémiologique publiée le 20 novembre 2021, il y a eu 25,027 cas confirmés de coronavirus sur les 139,106 tests qui ont été administrés, et un total de 727 décès. Selon ce même rapport, le taux de positivité était de 18,1%.

La propagation active du virus en Haïti en juin 2020 (qui est considéré comme le pic de la maladie) a touché Marie Claudette Jocelyn, une habitante de Saint-Jean du Sud dans la région  Sud du pays. “J’avais eu un énorme mal de tête pendant environ trois semaines, des douleurs musculaires intenses, une toux sévère, accompagnée d’une fièvre terrible”, raconte la femme de 60 ans. L’agricultrice avait refusé d’être hospitalisée et s’était rétablie d’elle-même, grâce à des tisanes locales. Sa contamination a été confirmée par une belle-fille qui travaille au Laboratoire national de Santé publique (LNSP).

Une équipe a été dépêchée par sa belle-fille pour la dépister dans son domicile, situé dans un endroit reculé de sa commune. Sinon, elle n’aurait peut-être pas su qu’elle avait été infectée par le virus car, à l’époque, le nombre de tests effectués quotidiennement par les autorités sanitaires haïtiennes était très limité. Selon le rapport épidémiologique du Ministère de la Santé et de la Population (MSPP) le 30 juin 2020, 12.566 cas suspects de Covid-19 ont été testés.

Au cours de la période allant du 31 janvier au 30 juin  2020, environ 2 400 tests par mois ont été effectués. La quantité de tests effectués était très faible par rapport à la République dominicaine qui, avec 10,9 millions d’habitants, a effectué en moyenne 19 886 tests par mois durant cette même période. Haïti vient de passer 119 319 tests au cours du mois d’octobre 2021, tandis que le pays voisin en a effectué plus de deux millions.

“Nous avons dû définir des critères avant de pouvoir faire des tests. Le patient doit montrer cliniquement des signes de maladie avant d’être testé, afin d’éviter de gaspiller des ressources que nous n’avions pas en grande quantité, puisqu’un test PCR coûte plus de 100 USD. L’autre problème est que les machines dont on se servait pour effectuer les tests PCR à l’époque étaient utilisées pour la gestion de la tuberculose (TB) et du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). En conséquence, les tests ont été effectués en petite quantité afin que les gens puissent également continuer à être dépistés pour le VIH et la tuberculose. Ce genre de problème existait déjà”, a déclaré le Dr Lauré Adrien, directeur général du Ministère de la santé publique et de la Population (MSPP).

Malgré leurs limites, des mesures sanitaires ont été prises pour prévenir la maladie au sein de la population haïtienne. Cependant, le système de santé haïtien déjà faible avait suscité une réelle inquiétude parmi la population en cas de contamination massive.

“La peur d’être infectés par le virus avait rendu les citoyens agressifs envers les personnes testées positives. Ceux qui ont été infectés par la maladie craignaient aussi d’être victimes de la population”, assure le Dr Raphaël Allan, chirurgien à l’hôpital Immaculée Conception des Cayes, dans le département du Sud du pays.

La réaction des habitants de la ville de Milot (région Nord d’Haïti) confirment les propos de ce médecin. Pour éviter la propagation du virus dans leur communauté, des habitants ont tenté de tuer Bellamy Nelson, un professeur d’université soupçonné d’avoir contracté le virus. L’hôpital Bernard Mevs en Haïti a également connu une situation similaire. Des gens ont menacé d’incendier cette institution médicale, qui voulait se doter d’un centre de traitement COVID-19.

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Les gens restent méfiants vis-à-vis du vaccin car l’hécatombe annoncée n’a pas eu lieu, selon Marc Edson Augustin, le directeur médical de l’Hôpital St. Luc en Haïti.
Photo par Carvens Adelson | AyiboPost

Malgré tout, les prévisions épidémiologiques de 20.000 décès et 3 millions de personnes infectées, annoncées par la cellule scientifique n’ont pas eu lieu. Selon Marc Edson Augustin, le directeur médical de l’Hôpital St. Luc en Haïti, ces éléments contribuent au refus de la population de se faire vacciner contre le COVID-19. ”Le coronavirus est toujours dans nos murs. La vaccination reste le meilleur moyen de le combattre. Mais, les gens restent méfiants vis-à-vis du vaccin car l’hécatombe annoncée n’a pas eu lieu et le niveau de contagion reste faible en Haïti, malgré le non-respect des mesures préventives par la population”, a déclaré le médecin.

Le docteur Lunick Santiague est chirurgien traumatologue et directeur du centre de traitement du coronavirus de la zone de Delmas 2. Selon lui, la violence, l’anarchie et l’instabilité qui s’intensifient en Haïti sont probablement l’une des raisons qui expliquent pourquoi il n’y a pas beaucoup de cas de COVID-19 dans le pays.

“Le problème de l’insécurité a contraint la diaspora et les touristes à ne pas retourner en Haïti pour les fêtes de fin d’année 2019. L’insécurité et la situation délétère du pays au début de l’année 2020 a obligé le gouvernement à annuler les festivités carnavalesques de février. Cela explique l’absence d’étrangers, et de touristes. C’est peut-être pourquoi Haïti n’a pas enregistré trop de cas positifs et de décès, bien que l’on sache également que les chiffres exacts en termes de prévalence de la pandémie font défaut puisque la population n’a pas été massivement testée”, a déclaré le Dr Santiague.

Propagation silencieuse du virus

Haïti est actuellement confronté à une vague de cas de coronavirus depuis l’annonce du MSPP qui a signalé, le 16 septembre 2021, la circulation des variants Delta et Mu dans le pays. “Actuellement, il y a une augmentation du nombre de contaminants dans l’analyse effectuée. Cette observation doit être répétée pendant plusieurs semaines afin de conclure qu’un pic de la maladie a été atteint”, explique le Dr Jacques Boncy, directeur du Laboratoire national de Santé publique.

La pénurie actuelle de carburant en Haïti affecte la capacité des laboratoires à effectuer des tests de dépistage, à cause du manque d’électricité. Cette situation réduit considérablement le suivi des cas, qui aurait sans doute fait augmenter les chiffres publiés. Mais avant cela, il y a eu la crise politique qui a affecté les campagnes de communication du COVID-19. La méfiance de la population envers les dirigeants politiques l’avait amenée à ne pas croire, dans les premiers instants de la pandémie, que la maladie existe en Haïti. Ces facteurs, couplés au séisme du 14 août dans le Sud, ont empêché le MSPP, dont les ressources sont rares, de suivre correctement la maladie en Haïti.

L’augmentation des nouveaux cas évoquée par le Dr Jacques Boncy se confirme également dans les hôpitaux. L’Hôpital Saint-Luc, situé dans la commune de Tabarre, est l’un des centres communautaires gratuits de la région Ouest d’Haïti qui reçoit les personnes infectées du COVID-19. Selon le directeur médical, Marc Edson Augustin, l’Hôpital Saint-Luc connaît une augmentation du nombre de patients infectés par le virus. “Il y avait eu une accalmie pendant près de trois mois à l’hôpital. Il y a maintenant quatre fois plus de personnes hospitalisées en raison de complications liées au COVID-19. Avant, l’hôpital comptait une vingtaine de patients”, précise le Dr Augustin.

Ce médecin estime que le plan de préparation et de réponse au coronavirus, élaboré par le MSPP pour contrer la pandémie en Haïti, n’était pas suffisant pour faire face à la gravité de l’urgence de santé publique à laquelle ils étaient confrontés.

“Malgré leur faible capacité, les autorités sanitaires haïtiennes ont fait de gros efforts pour faire face au virus. Elles avaient mis en place un plan de préparation et de réponse. En revanche, si l’on considère le manque d’argent auxquel est confronté le système de santé haïtien, on peut rapidement déduire que ce plan n’a pas totalement répondu à la menace de la maladie”, explique le Dr Edson Augustin.

En effet, le système de santé haïtien connaît de sérieuses difficultés financières depuis des années. Dans le projet de loi 2018-2019, toujours en vigueur car il n’y a pas de parlement pour en ratifier un nouveau, seuls 4% du budget national sont alloués à la santé. Ce montant est loin des recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui suggère que 15 % du budget national dans les pays à faible revenu soit consacré à la santé.

“Ce montant ne représente presque rien. Cela dit, l’État haïtien ne s’est pas trop préoccupé des investissements dans la santé depuis des années. On ne pouvait pas s’attendre à ce que les autorités du MSPP fassent un miracle pendant le coronavirus”, a déclaré Augustin.

Le directeur général du MSPP, le Dr Lauré Adrien, évoque à la fois les problèmes sécuritaires et financiers auxquels le pays est confronté, qui entravent la mise en œuvre effective de ce plan.

“Les plans sont basés sur des prévisions”, a-t-il déclaré.

“Outre les moyens, le comportement des individus vis-à-vis de l’information diffusée est nécessaire à sa réussite. C’est probablement sur ce point que l’on peut probablement dire que nous avons perdu la bataille. Quel que soit le degré de sensibilisation, nous n’obtenons pas la réponse attendue parmi la population. Ce genre de cas n’est pas spécifique à Haïti puisqu’à travers le monde, il y a un ensemble de personnes qui vont à l’encontre des principes établis et d’autres prises de conscience liées à la maladie”, a-t-il poursuivi.

Cependant, le directeur général du MSPP est satisfait de la gestion de la maladie, malgré la défaillance du système de santé haïtien. “Il n’y a pas eu trop de dégâts et de morts en Haïti. Nous ne sommes pas les seuls à avoir ce profil épidémiologique; de nombreux pays d’Afrique vivent la même chose”, a-t-il fait remarquer.

Avec 3354 médecins pour 11 millions de personnes selon le dernier recensement des professionnels de santé réalisé en 2018, Haïti ne pourrait pas faire face au virus si le pays comptait de nombreuses personnes touchées par les formes sévères de la maladie.

L’inactivité des centres de soins

Pour faire face au coronavirus en Haïti, 1 011 lits ont été aménagés dans 26 centres de soins uniquement pour les patients du COVID-19. Ceux-ci n’ont jamais débordé de cas, même pendant la période considérée comme le pic de la maladie. Les centres ont été créés après des prévisions épidémiologiques qui estimaient qu’environ trois millions de personnes seraient infectées par la maladie et que 20 000 pourraient en mourir.

“Le souci du groupe de travail scientifique était d’éviter que trop de cas compliqués n’envahissent les hôpitaux. C’est pourquoi l’Etat avait pris des mesures pour mettre en place ces centres de soins”, a déclaré Jacques Boncy, président de l’Unité scientifique créée pour faire des propositions au gouvernement sur la meilleure façon de lutter contre le virus en Haïti.

Pour le Dr Marc Edson Augustin, la COVID-19 n’a pas eu le temps de tester le système de santé haïtien.

“Les scénarios épidémiologiques anticipés étaient faux. En conséquence, les centres qui ont été mis en place pour accueillir les patients n’ont pas été remplis comme prévu. Ainsi, notre système de santé déjà défaillant n’a jamais été fissuré ou dépassé par l’épidémie. Par ailleurs, la plupart des personnes qui ont contracté le virus sont restées à la maison”, a déclaré Augustin.

Lors de la hausse des cas en juin 2020, le centre de soins de Canaan, qui comptait 200 lits, n’a reçu que trois patients. Le centre de soins du Centre Olympique, de 160 lits, n’a reçu qu’un seul patient durant cette même période.

“Ces centres n’avaient quasiment pas de patients alors que de nombreux cas de coronavirus ont été recensés en Haïti. Il est vrai que toutes les personnes infectées n’avaient pas besoin d’être hospitalisées, mais la plupart de celles qui en avaient besoin ont refusé l’admission”, a expliqué le Dr Lauré Adrien.

Selon le directeur du Laboratoire national, Jacques Boncy, la plupart des cas confirmés qui avaient refusé l’hospitalisation s’expliquent par la relation que les Haïtiens entretiennent avec les formations sanitaires.

“La plupart des Haïtiens n’aiment pas aller à l’hôpital pour se faire soigner. Cela ne fait pas partie de la culture”, dit-il.

Selon le Dr Santiage Lunick, directeur du site Delmas 2 COVID-19, ce centre a suspendu ses activités COVID-19 à partir du 14 août 2021, afin d’accueillir les victimes du séisme du grand Sud .

“Les quelques patients du COVID-19 que nous avions ont été transférés vers d’autres centres, dont l’hôpital Saint-Luc”, dit-il.

“Pendant cette période, les centres étaient ouverts et disposaient d’équipements de santé et de personnel affecté aux soins. Ces structures n’ont pas été fermées parce que l’État voulait qu’elles le soient. L’inactivité observée dans ces centres a contraint l’État à réduire les effectifs de santé qui étaient supérieurs aux patients admis. C’est ainsi que ces centres ont été désactivés. Néanmoins, des espaces pour les unités COVID-19 dans les hôpitaux existent toujours. Nous les activerons en cas de besoin”, a déclaré le directeur général du MSPP. Les centres ont été désactivés en septembre 2020.

Il admet également qu’il y a eu de nombreux cas positifs en Haïti. Les cas positifs étaient probablement bien plus que ce que révèlent les données officielles, dit-il. “Mais le pays a eu très peu de patients qui ont développé des formes sévères de la maladie”, a-t-il soutenu.

“D’ailleurs, Haïti n’est pas le seul à être épargné par une catastrophe sanitaire liée au COVID-19; les scénarios épidémiologiques prévus pour de nombreux pays d’Afrique et des Caraïbes ne se sont pas concrétisés”, a ajouté le Dr Adrien.

Remise en cause des statistiques

Depuis l’apparition du COVID-19 dans le monde en décembre 2019, le nombre de personnes infectées par ce virus n’a cessé de croître. Selon les données de l’OMS, plus de 257 millions de cas de COVID-19 sont confirmés dans le monde. Les chiffres montrent également que 5 millions de décès ont déjà été enregistrés pour la pandémie.

Selon le récent rapport épidémiologique du MSPP, le 20 novembre 2021, les taux de coronavirus en Haïti montrent 25,027 cas confirmés (47,2% des femmes) avec un taux de létalité de 2,90%. Haïti n’a signalé que 727 décès causés par COVID-19 et un total de 20 973 personnes infectées qui se remettent déjà de la maladie. Dans le même temps, le département de l’Ouest comptait près de trois quarts de la population infectée par le COVID-19. Mais, le taux de létalité le plus élevé du pays reste la région des Nippes avec 7,84 % et le Nord avec 6,18 %. Le nombre de tests effectués en Haïti est de 133 064 pour les 11 millions d’habitants.

Les professionnels travaillant dans le système de santé haïtien se méfient de ces données partagées par le MSPP. A cet effet, le Dr Adrien estime que même si les chiffres officiels ne reflètent pas la réalité réelle, ils indiquent tout de même une image proche de la réalité épidémiologique du pays.

« Lorsqu’un cas positif de COVID-19 est découvert, ce n’est pas le seul cas de contamination. Vous pouvez avoir cinq ou six cas connexes. Il faut aussi considérer le comportement de la population par rapport à la maladie car nombreux sont les gens qui refusent d’admettre que la maladie existe en Haïti. Les personnes testées positives remettent en question leur diagnostic et refusent de croire qu’elles sont porteuses du virus », a-t-il noté.

Il n’y a pratiquement pas de données officieuses sur la maladie en dehors des chiffres officiels. En fait, la plupart des hôpitaux privés en Haïti avaient refusé de recevoir des patients du COVID-19. Selon le Dr Jacques Boncy, président de la Cellule scientifique contre le COVID-19, tous les décès liés au COVID-19 ne sont pas enregistrés.

“Le bilan présenté par le MSPP représente le nombre de décès institutionnels signalés car tous les centres COVID-19 étaient gérés par l’État. Il existe d’autres cas en dehors du système hospitalier [public] qui ne sont pas comptabilisés. Je considère ces données comme des indicateurs. Par exemple, lorsqu’ils sont en augmentation sur une période de temps, je les vois comme un signe de la gravité de la maladie en Haïti”, a déclaré Boncy.

Au plus fort de la pandémie en Haïti, il y a eu une épidémie de fièvre légère. De nombreuses personnes avaient été touchées par une fièvre qui présentait des symptômes similaires à ceux du nouveau coronavirus. Le Dr Marc Edson Augustin soutient que ces personnes n’ont pas été dépistées.

“Il n’y avait pas eu de tests de laboratoire sur ces personnes en raison de la faible capacité de test du MSPP à l’époque. À mon avis, il est très probable que cette petite fièvre était une forme modérée du coronavirus. Étant donné que la population haïtienne a un pourcentage élevé de jeunes, relativement en bonne santé, ils ont tous résisté aux formes sévères de cette fièvre qui s’apparente au coronavirus”, précise le Dr Augustin, dont l’hôpital participe activement à la lutte contre le coronavirus.

Les données existantes corroborent la théorie du Dr Marc Edson Augustin car les jeunes sont la population la moins touchée par COVID-19. Les personnes âgées de 20 à 49 ans représentent plus des deux tiers des cas de contamination selon le bilan épidémiologique du 20 octobre 2021. Cependant, il est difficile d’avoir des données fiables sur le profil démographique de la population haïtienne.

La question de la vaccination

Selon les chiffres publiés par le MSPP, un total de 117.881 doses de vaccin ont été administrées en Haïti depuis le 16 juillet 2021, date de la première injection. Au 20 novembre 2021, seules 66 888 personnes étaient complètement vaccinées. C’est moins de 1% de la population du pays. Le mépris de la population pour le vaccin COVID-19 ralentit le processus de vaccination et empêche les autorités sanitaires haïtiennes d’atteindre le taux de couverture vaccinale souhaité. Selon Tristan Rousset, chargé de communication au bureau de l’Organisation panaméricaine de la Santé et de l’Organisation mondiale de la Santé en Haïti, le gouvernement haïtien entend vacciner 20% de la population.

Lambert Santé, une clinique située dans la commune de Pétion-Ville, fait partie des 149 sites de vaccination du pays. Les activités de vaccination ont ralenti dans ce centre au cours de la dernière semaine d’octobre.

“Nous recevons environ 50 personnes par jour. La population n’est pas trop intéressée à se faire vacciner contre le coronavirus”, explique l’une des infirmières qui y travaille. Ces remarques semblent aller dans le sens des observations de Jones Polycarpe envers le vaccin. Polycarpe est étudiant à l’Université d’État d’Haïti. Il estime qu’à travers le monde, certains médecins ne sont pas d’accord sur l’efficacité des vaccins. Son opinion est qu’il n’y a aucune raison pour que les autorités sanitaires haïtiennes obligent les gens à se faire vacciner alors que le pays n’est que faiblement touché par la maladie.

“Personne ne va m’obliger à prendre ce vaccin, qui a déjà des effets indésirables chez certains individus”, a-t-il déclaré.

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La vaccination est très lente avec moins de 1% de la population vaccinée.
Photo par Carvens Adelson | AyiboPost

Beaucoup de gens en Haïti partagent l’opinion de Polycarpe. Le directeur général du MSPP se dit conscient de cette réalité.

“Le vaccin n’est pas obligatoire, il faut le faire savoir au public. Les gens ont le droit de ne pas l’accepter mais le problème c’est quand ils veulent influencer le comportement des autres”, précise Lauré Adrien.

Le MSPP tarde encore à trouver la bonne stratégie de vaccination en Haïti. Pendant ce temps, la réticence du public remet en cause les prévisions de vaccination en Haïti.

“Si le processus se déroulait comme prévu, les 500 000 doses de vaccin Moderna reçues en juillet 2021 auraient déjà été administrées bien avant leur expiration”, précise le DG du MSPP.

Les chiffres modestes de la couverture vaccinale ont forcé Haïti à rendre au COVAX (un programme d’accès global et équitable aux vaccins contre le Covid-19) plus de 250.000 vaccins qui expiraient le 6 novembre 2021. Ils pourraient ainsi être réaffectés à d’autres pays à forte demande. “La vaccination continue. Le ministère de la Santé tente d’ouvrir beaucoup plus de sites de vaccination afin d’éviter une telle situation avec les 100.000 nouvelles doses du vaccin Moderna reçues le 4 novembre  2021”, dit Adrien Lauré. Les 100 000 doses de vaccins reçues en Haïti via COVAX sont cinq fois moins que le premier stock de vaccins livrés en Haïti.

Selon le sociologue Wenchel Jean Baptiste, également directeur de l’hôpital Caramed de la ville des Cayes, le refus de la population haïtienne d’accepter le vaccin contre le coronavirus s’explique par son comportement face à la science.

“Les Haïtiens n’ont pas développé de bonnes relations avec la science” a-t-il déclaré.

“Comme ils supposent déjà que les vaccins produisent des effets nocifs, quelles que soient les explications scientifiques ou les méthodes utilisées pour les convaincre, ils restent sceptiques”, a-t-il expliqué. Parallèlement, la population haïtienne n’a pas rejeté les bénéfices généraux des autres vaccins. Ils font régulièrement vacciner leurs enfants dans le cadre de programmes gérés par le MSPP qui luttent contre la polio, la diphtérie et d’autres maladies. Ces programmes existants qui encouragent les Haïtiens à vacciner leurs enfants font partie de la tradition et des pratiques familiales haïtiennes, mais cela ne signifie pas que la plupart des Haïtiens croient aux effets réels de ces vaccins sur leur enfant.

L’avis du naturopathe Patrick Jacques est plutôt ferme au sujet de la vaccination contre le coronavirus. Jacques est spécialisé en naturopathie et médecine interne. Il est en charge de la direction de la médecine traditionnelle au MSPP. Pour lui, la stratégie ne doit pas alarmer les gens afin de les forcer à se faire vacciner.

“La population d’Haïti développe une sorte d’unité collective face à la maladie. Nous n’avons pas besoin de nous faire vacciner pour lutter contre le COVID-19”, a-t-il suggéré.

Maxo Noël est pharmacien mais il a bâti une réputation en tant que praticien de la médecine traditionnelle. Il croit, lui, que les Haïtiens devraient être vaccinés. “Les gens doivent être vaccinés. La médecine traditionnelle pourrait certes guérir la mutation du coronavirus, mais je pense que la vaccination est nécessaire pour renforcer le système immunitaire”, a-t-il admis.

Tisanes et médecine traditionnelle

En Haïti, la médecine traditionnelle est très en vogue. Selon Jacques, il y a 40 000 herboristes dans le pays. Après l’arrivée du coronavirus en Haïti en mars 2020, les Haïtiens ont pour la plupart recouru à des remèdes à base de plantes pour prévenir et guérir la maladie en cas de contamination. Les Haïtiens ont l’habitude de boire du thé pour soigner les maux. C’est pourquoi Marie Claudette Jocelyn, mentionnée au début de l’article, dit avoir pris des tisanes jusqu’à ce qu’elle soit complètement guérie du virus.

“La médecine traditionnelle a joué un rôle majeur dans la lutte contre le coronavirus et nous a permis de développer une résistance à la maladie”, a déclaré Jacques. Il raconte que parmi les composés médicinaux utilisés, il y avait à la fois des remèdes préventifs (thés à base de gingembre, armoise et aloe vera) et des remèdes curatifs (composés de gingembre, lait et autres feuilles médicinales). Ces recettes sont parfois variées selon les régions.

Ces composés médicamenteux, établis sous forme de protocole par la Direction de la médecine traditionnelle, avaient fait l’objet d’une attention particulière de l’Université d’État d’Haïti (UEH). Dans une étude menée en juillet 2020, l’UEH a recensé 72 recettes traditionnelles pour prévenir et combattre la maladie. Elle s’était penchée sur la question afin de partager un avis scientifique et éthique sur les formules et recettes utilisées.

“D’après la littérature consultée et les monographies préparées sur la composition chimique et les propriétés des produits utilisés, on peut dire que la population a pu faire un choix approprié de produits et que les recettes utilisées peuvent apporter une meilleure solution pour de nombreux symptômes, voire prévenir la survenue de complications de la maladie, ce qui témoigne de la bonne connaissance de la phytothérapie de la population et de sa capacité particulière à manipuler les plantes”, lit-on dans ce document.

Le MSPP refuse pourtant de reconnaître l’efficacité de ces remèdes dans la lutte contre la maladie, explique le chef de la division Médecine traditionnelle de ce ministère.

“Malgré tout, une tentative a été faite pour mettre en place une campagne sur les radios communautaires et les journaux pour inciter la population à cette pratique médicinale”, explique cet herboriste traditionnel. Il croit que la direction qu’il dirige au sein du ministère doit devenir une entité indépendante afin d’avoir la pleine capacité d’endosser véritablement les avantages de la médecine traditionnelle en Haïti, et de pouvoir mener des recherches dans ce domaine.

Noël estime que les recettes traditionnelles à base de plantes contribuent à la guérison de près de 80 % des personnes infectées par le COVID-19 du pays. Néanmoins, les professionnels de la santé et les autorités sanitaires refusent de commenter le rôle ou la contribution de la médecine traditionnelle dans l’atténuation des risques sanitaires associés à la maladie. Pour le sociologue Wenchel Jean Baptiste, les recettes traditionnelles ont joué un rôle crucial.

“Il y a aussi une relation entre la prédisposition mentale et les faits. Étant donné que les Haïtiens croyaient fortement aux effets de la médecine traditionnelle, cette disposition mentale, considérée en dehors des vertus curatives que possèdent réellement les plantes, a quand même eu un impact positif sur les résultats attendus”, a-t-il expliqué.

Perspective des experts de la santé

Haïti possède l’un des systèmes de santé les plus vulnérables au monde. Malgré les efforts consentis ces dernières années, il n’y a pas d’amélioration significative des indicateurs de santé. La couverture sanitaire reste insuffisante et inaccessible aux citoyens à faibles revenus qui représentent près de 8 millions de la population, selon les données du Programme des Nations unies pour le développement. Les données au début de l’article sur le nombre de médecins à la disposition de la population haïtienne illustrent cette réalité.

“En effet, l’État haïtien s’était doté de matériels pour renforcer le système médical pendant la maladie. Mais le pays est tellement gangrené de problèmes qu’il sera difficile d’évaluer l’impact de ces efforts”, a déclaré Lauré Adrien.

Cela dit, le directeur général du MSPP estime que les dirigeants haïtiens sont incapables de changer pour le mieux ce qu’ils ont appris dans n’importe quel domaine.

“La question de la santé en Haïti est complexe, elle doit être replacée dans le contexte du développement global du pays”, a-t-il déclaré.

Le Dr Santiago Lunick est d’accord. Selon lui, la gouvernance d’Haïti impacte grandement les différentes institutions du pays.

“Le jour où l’État haïtien fonctionnera, toutes les institutions du pays fonctionneront de manière plus ou moins satisfaisante. Il est plus qu’évident qu’Haïti ne peut pas bénéficier d’un secteur de la santé performant dans un pays extrêmement désorganisé”, a-t-il déclaré.

Cette enquête a été possible en partie grâce au soutien de Para la Naturaleza, la Fondation Open Society et de la Fondation Connaissance et Liberty (FOKAL).

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